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Lettre d'Ava Gardner

Antique enveloppe avant
Cinéma
Pandora

16 -11 -2021 AG Pandora - Rapport moral 2020du président de l'association Ciné-Achères Pandora

Bonjour ami-e-s de l’association

 

Je suis celle qui veille discrètement sur les destinées de votre cinéma,
je suis Ava, Ava Gardner.

Vous vous étonnerez sans doute de ce courrier, mais les événements furent assez extraordinaires pour le justifier. Il est en effet rare qu’une image de papier, image d’une autre image de celluloïd, s’exprime ! Mais après tout pourquoi s’étonnerait-on que le produit de « l’usine à rêves » hollywoodienne n’engendre aussi des mots qui sont l’un des ingrédients de sa splendeur depuis l’invention du parlant.

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Faute d’images animées sur écran blanc voici des mots sur l’écran blanc d’une feuille de papier.

Je suis l’Ava, Eve fondatrice de ce qui est humain, l’Ava Gardner qui vous contemple du haut de cette grande affiche apposée sur le mur du fond de ce lieu qui porte le nom de l’un des films qui fit ma renommée et veille sur les milliers de personnes qui ont fréquenté, qui fréquentent ce lieu où le rêve, les fictions, les drames, les comédies, la vie sont la chair de son existence .

Cela commença un samedi soir. Sam était aux commandes, il portait, je crois, déjà un masque qui témoignait d’un danger qui pesait déjà sur le monde. Il annonça la fermeture du cinéma. La bête à picots avait commencé ses ravages.

Ainsi au soir de ce jour fatidique ce fut la « dernière séance » pour de longs mois. Mon cinéma devenait un « lieu non essentiel » pour 163 jours.

La légende mythologique m’accuse, moi Pandora, d’avoir ouvert la boîte confiée par Zeus et d’avoir libéré le plus mauvais des vents, celui de la maladie qui interdit aux humains la vie, les rencontres, le rêve, la réflexion.

Je plaide non coupable, ce sont les vents malfaisants qui m’ont agressée et menacé la vie de mon foyer, attaque perfide d’une phallocratie éculée.

Ce fut pour moi le commencement de longs mois de solitude. Privée de la vie vibrionnante de ce lieu sacré je me suis détachée des bras de James Mason, de l’affiche de mon film pour devenir à la fois spectre et vestale de ce temple désormais désert. Suivirent de longs jours, de longues nuits d’errance. Héroïne involontaire d’un mauvais film muet en noir et blanc que les meilleurs metteurs en scène n’auraient pas osé imaginer, spectatrice unique et fantomatique de salles désormais vides, silencieuses et obscures, d’écrans morts, dépourvus des images et des sons qui font la vie de ces lieux magiques, témoin impuissante d’un hall abandonné, d’un bar sans vie et sans boissons, d’une caisse déserte devenue inutile. Le bruissement des programmes papier feuilletés dans le hall ou dans les salles en attendant la séance s’était tu lui aussi.

Pour la première fois dans l’histoire du cinéma advenait une telle situation.

Comment vous évoquer la mélancolie du morne spectacle du Pandora abandonné, hollandais volant dans les brouillards pandémiques de la maladie. Plus de sièges occupés, de portes de salles qui s’ouvrent et se ferment au gré des séances, plus de films, plus de spectateurs, plus d’enfants, plus de parents, de grands parents, d’amoureux licites ou non, plus de regards conviviaux avec ou sans paroles, plus de cette chaleur humaine indispensable à la vie.

Interdites les séances animées en la présence des réalisateurs ou des acteurs , plus de découvertes de nouveaux talents, de nouvelles œuvres, plus de rencontres, d’échanges avec l’équipe, plus de séances scolaires ou de centres aérés.

Parfois les âmes de ce site firent de brèves apparitions mais le reste du temps fut livré au silence.

Silence ! On ne tournait plus.

A dire vrai j’ai craint que, comme la destinée de ces chanteurs, ces musiciens, ces créateurs, la vie du lieu où je règne, ne s’achève aussi tragiquement que leur courte vie, 27 ans âge fatal…

Vous comprendrez mon angoisse, ma crainte du pire pour ce lieu dont je me sens responsable. La chance a fait que mon cinéma n’est pas mort, le filet des soutiens financiers, de l’aide de la ville et les sacrifices de l’équipe ont permis qu’avec l’été, le jour de la Saint Jean, s’entrouvrent à nouveau les portes. Vision étrange de spectateurs masqués et quelque peu craintifs mais sevrés de séances. Étrange spectacle... Gel à l’entrée, distance sociales à respecter, écrans en plexiglas, espaces gardés entre les fauteuils. Là encore du jamais vu.

On avait purifié et filtré l’air en novembre pour faire pièce aux maudits vents mauvais.

J’ai cru comme beaucoup que les jours sombres étaient révolus, mais l’embellie fut de courte durée dès le 30 octobre ce fut à nouveau le silence et le noir, les espoirs de résurrection déçus et une nouvelle couche d’interdits, le 10 décembre, les portes du Pandora restèrent fermées jusqu’à la fin de cette année maudite.

Votre assemblée générale se trouve décalée dans le temps et sans trahir le rapport de 2021, vous savez que les mauvais jours n’ont pas pris fin avec l’année 2020.

J’espère ne plus avoir à vous rendre compte de temps aussi difficiles, je souhaite rejoindre à jamais mon affiche tutélaire dans les bras de James Mason et que se referme cette maudite boite.

Longue vie au cinéma, longue vie à Pandora, je forme le vœu que les spectateurs retrouvent avec tout leur enthousiasme le chemin de ma maison.

 

Ava Gardner

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